Publié le 10/02/2015 • Par Catherine Maisonneuve • dans :
un anniversaire qui remet au coeur du débat l’accessibilité des bâtiments publics. La nouvelle réglementation signe, certes, une forme d’échec mais un second souffle est possible. Plus largement, le bilan reste à faire de la véritable inclusion dans la société des personnes en situation de handicap.
Accessibilité : l’échéance de 2015 (officiellement) maintenue
4 février, Paris, place de la Bastille. La scène est inattendue.
Trois adjoints d’Anne Hidalgo, bandeau sur les yeux, canne blanche à la main, instructeur de locomotion à leur côté entament une marche hésitante. Bernard Jomier, adjoint chargé de la santé, du handicap et des relations avec l’AP-HP a convié ses collègues de l’exécutif, Jean-Louis Missika, chargé de l’urbanisme et Christophe Najdovski chargé des transports et de la voirie, à « toucher de la canne » les difficultés que rencontrent quotidiennement les aveugles et malvoyants. Avec les commentaires de Thierry Jammes, responsable de la commission accessibilité de la Fédération des aveugles de France.
Le parcours est court sur cette place dont le réaménagement sera l’un des grands chantiers de la maire de Paris. Départ de l’Opéra Bastille. Première traversée de la rue de Charenton, sans feu tricolore. Elle conduit pourtant à l’hôpital des Quinze-Vingt, berceau de l’ophtalmologie française… Il faut se guider au bruit des moteurs.
Dix mètres plus loin, traversée de la rue du Faubourg Saint Antoine qui, elle, est protégée par un feu tricolore, mais sa balise sonore que la télécommande du piéton est censée activer ne fonctionne pas… Et les bandes podotactiles, usées jusqu’à la corde, ne jouent plus leur rôle d’alerte…
Les élus en décalage
L’expérience « vis ma vie » parisienne, pour médiatique qu’elle soit, n’est pas qu’un coup.
Car si l’accessibilité est présente depuis 10 ans, en théorie, dans l’agenda des collectivités territoriales, il y a loin de la réalité à la perception qu’en ont les différents acteurs.
Ainsi, à la demande du Comité d’entente des associations représentatives de personnes handicapées et de parents d’enfants handicapés, l’Ifop a réalisé une enquête (par interviews) auprès des personnes handicapées, du grand public, et de 301 élus (261 maires et 40 conseillers généraux) : « Regards croisés : 10 ans après la promulgation de la loi sur l’égalité des droits et des chances… quel est l’état de l’opinion ? »
La loi handicap du 11 février 2005 fête ses 10 ans,
Dans son focus sur l’accessibilité, si la perception du grand public rejoint en plusieurs points celle des personnes concernées par le handicap, « les élus interrogés sont en net décalage et bien loin de la réalité vécue par les personnes handicapées » note l’Ifop.
Un seul exemple : les personnes handicapées attribuent la note de 4,9/10 à l’accessibilité des administrations, institutions et services publics. Les élus, eux, perçoivent ces lieux bien différemment, avec une note de 7/10…
Une année charnière pour relancer la loi handicap
10 ans après la loi handicap du 11 février 2005, la France a raté la marche de l’accessibilité. Tout n’est pas accessible, loin de là. Défaut de portage politique, retard de parution des textes réglementaires, absence d’évaluation des impacts techniques et économiques, complexité des règles…
La sénatrice (PS) de l’Essonne, Claire-Lise Campion avait pointé un certain nombre d’explications dans son rapport Réussir 2015, qui a enclenché le processus conduisant à l’ordonnance du 26 septembre 2014 avec la création d’agendas d’accessibilité programmée (Ad’Ap) et peut-être, surtout, d’une nouvelle réglementation beaucoup plus souple dans le bâti existant.
Lire notre interview de Claire-Lise Campion
Pour Paris, comme pour toutes les collectivités territoriales, 2015 sera-t-elle une année charnière pour relancer la machine ? Bernard Jomier l’affirme. La ville qui possède le plus d’ERP en France, plus de 2000, va déposer le 1er mars une attestation d’accessibilité pour environ 400 d’entre eux qui répondent à la totalité des anciennes normes de l’arrêté du 21 mars 2007.
Pour les 1600 autres, un Ad’Ap va être élaboré et déposé pour le 27 septembre 2015. La ville va se faire aider, et lancera en mars un appel d’offre, en cinq lots, dont le(s) attributaire(s) seront retenus en juin. « Nous ne referons pas les diagnostics, explique l’élu. Ils nous serviront pour construire une programmation avec l’approche pragmatique que permet la nouvelle réglementation du bâti existant, (1). Avec le nouveau dispositif nous n’aurions aucune excuse ».
Une concertation est prévue dans chaque arrondissement, avec élus, usagers, associations de personnes handicapées, et dans ceux où il existe, le conseil local du handicap. « Il s’agit de déterminer des priorités. Je prends un seul exemple : dans mon quartier, le XIXe il y a, rue Manin et alentour, cinq écoles séparées de 50 mètres. L’important est bien qu’un élève handicapé soit scolarisé à côté de chez lui : sans rien céder sur nos valeurs, on ne peut raisonner l’accessibilité école par école ».
Le Conseil de Paris a voté, le 16 décembre, un budget qui prévoit le triplement du programme d’investissements de la mandature en matière d’accessibilité, 75 millions sur les cinq ans à venir.
Branle-bas de combat
C’est aussi le branle-bas de combat dans de nombreuses collectivités territoriales. Une réunion organisée par l’Association des maires de France (AMF) et la Délégation ministérielle à l’accessibilité, le 5 février 2015, sur la mise en accessibilité des bâtiments publics a montré la foule des questions que se posent les maires, élus ou réélus :
quelle durée pour un Ad’Ap (voir encadré) ?
comment établir un diagnostic ?
Faut-il un bureau d’études ?
Comment associer les acteurs concernés ?
Quelle programmation mettre en place ?…
Sans compter une nouvelle réglementation technique dont il faut vite mesurer l’impact : par exemple, possibilité de rendre accessible une autre porte d’entrée que la principale, d’installer un élévateur plutôt qu’un ascenseur ; d’utiliser une rampe amovible…
Un renoncement, pour les associations
« Vous avez eu 40 ans pour le faire ! », protestent les associations, qui continuent leur mobilisation. Le Collectif pour une France accessible appelle à des rassemblements devant la chambre des députés le 11 février et dans une quarantaine de villes de France.
Il dénonce l’Ordonnance « avec d’autant plus de vigueur que, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, le Conseil national consultatif des personnes handicapées a désapprouvé ce texte en formulant un avis défavorable et que les textes d’application qui viennent de paraître parachèvent de manière fondamentale la remise en cause du droit aux transports publics, tandis que la grande majorité des établissements recevant du public (écoles, cinémas, commerces, cabinets médicaux, stades, etc. ) existants en France se trouvent complètement exonérés de la moindre obligation d’étudier les conditions d’une mise en accessibilité. »
Il demande aux parlementaire de ne pas voter le projet de loi d’habilitation de l’ordonnance (2), adopté le 4 février au conseil des ministres et déposé le même jour au sénat.
Bilan contrasté de la loi handicap
Lors de son allocution devant la Fondation Chirac, le 5 février, Ségolène Neuville a parlé de «bilan contrasté » de la loi de 2005 en matière d’accessibilité telle que l’a conçue le législateur, c’est-à-dire l’accessibilité au travail, aux loisirs, à la culture, à l’éducation, à la santé… Bref, l’inclusion.
A cet égard, la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées a annoncé qu’un prochain amendement dans le cadre du projet de loi Santé prévoira une obligation d’orientation permanente des personnes : « les maisons départementales des personnes handicapées conçues à l’origine pour accompagner les parcours des personnes seront recentrées sur leur métier originel », a-t-elle déclaré.
Si l’actualité braque ses projecteurs sur la nouvelle donne de la réglementation (et les braquera probablement jusqu’au 27 septembre date limite de dépôt des Ad’Ap), la question reste posée, comme le fait le sociologue Joël Zaffran en introduction du livre collectif « Accessibilité et handicap » publié aux Presses universitaires de Grenoble : « l’accessibilité est-elle soluble dans l’accès ? ». Poser la réponse n’est-ce pas déjà y répondre ?
FOCUS
Des précisions sur les durées d’un Ad’ap
La durée de droit commun d’un Ad’Ap est de trois ans maximum (une période). Sauf exception, elle s’applique à tous les ERP isolés de 5e catégorie, les plus nombreux.
En revanche, l’art. L111-7-7 du code de la construction et de l’habitat (CCH) prévoit que, sous conditions, elle puisse être portée à six ans (deux périodes) :
si « l’importance des travaux » le justifie, pour les ERP du premier groupe (1re à 4ecatégories) et pour les patrimoines incluant plusieurs ERP dont un du premier groupe ;
en cas de contraintes techniques ou financières particulières » pour un ou plusieurs ERP
de 5e catégorie.
Enfin, à titre exceptionnel, « dans le cas d’un patrimoine dont la mise en accessibilité est particulièrement complexe en raison des exigences de continuité de service, du nombre de communes d’implantation, du nombre et de la surface des bâtiments concernés ou du montant des investissements nécessaires», l’Ad’Ap ira jusqu’à neuf ans maximum (trois périodes).
La demande de périodes supplémentaires s’analysera au vu de la capacité à financer la mise en accessibilité (autofinancement ou emprunt) et de l’importance du patrimoine. Elle s’appuiera sur des critères objectifs déterminés par des arrêtés à paraître.
Les éléments d’appréciation de la situation budgétaire et financière devraient reprendre les seuils d’alerte de 0.97 de marge d’autofinancement et de 1.20 de taux d’endettement utilisés par le réseau d’alerte des finances locales.
Pour les Ad’Ap de 9 ans, les planchers devraient être fixés à un nombre de communes d’implantation supérieur ou égal à 30 ; ou bien à un nombre d’ERP supérieur ou égal à 50 ; ou encore à un nombre de communes supérieur ou égal à 25 et un nombre d’ERP supérieur ou égal à 40. De nombreuses villes, tous les départements et toutes les régions entreront dans ce cadre.